Ouidah ou la symphonie culturelle achevée
Ouidah en fête. Du 5 au 13 décembre, tous ceux qui se sentent un quelconque lien avec la Cité Kpassè, sont invités, comme l’écrivent les organisateurs, à prendre leur part ou à jouer leur partition dans la symphonie des retrouvailles autour de la fête patronale de Ouidah, édition 2008. Programme d’une exceptionnelle richesse avec des séances d’ako-mlan-mlan, des panégyriques ou des paroles de louange, des opportunités d’affaires, des soirées de jazz, des virées en boîtes de nuit, une exposition artistique, une foire culturelle, sans oublier pique-nique, conférences, carnaval, délices culinaires, projections de films…En somme, un programme alléchant pour participants exigeants.
Nous avons produit à cet effet un texte, « Ouidah ou la symphonie culturelle achevée ». Il nous plaît, dans les lignes qui suivent, de le partager avec nos auditeurs et avec nos lecteurs.
« Ouidah est une énigme. Coincée entre hier et demain, partagée entre la mélancolie douce et rêveuse de son passé et la rumeur océane qui berce ses rêves d’avenir, la cité historique tisse en silence les fils entremêlés d’un étrange destin.
Le temps semble avoir suspendu son cours sur une cité qui, brisée par les insomnies du passé, se cherche dans les somnolences d’aujourd’hui, sans accéder encore à la claire conscience de ce dont demain sera fait.
Ce fut pourtant, là qu’a pris corps l’une des plus belles symbioses culturelles, par le greffage réussi de plusieurs rameaux de peuples. Ceux-ci, en mettant ensemble ce qu’ils ont de meilleur ont fini par pousser sur les racines d’un majestueux fromager, généreux par son ombre à tous dispensée. Fon, Ouémènou, Houédah, Yoruba, Mahi, Pla, Bariba, Dendi, Haoussa, Afro-Brésiliens… des peuples divers par l’origine ont su, cependant tisser une chaîne de mains fraternelles autour d’une cité à qui on ne rend pas assez justice pour sa contribution de qualité à la civilisation universelle.
Ouidah est, en effet, un foyer unique de cultures intégrées. Chacune d’elles a apporté son obole à l’offrande commune. Chacune d’elles a su ainsi jouer sa partition dans cette symphonie culturelle de toute beauté qu’a été et que reste Ouidah. Comme quoi des peuples différents les uns des autres peuvent cependant, donner corps au grand et beau rêve d’être ensemble, de travailler ensemble, de se construire un avenir dans le miroir duquel ils saisissent, avec toujours plus de clarté, et pour s’en fortifier, les raisons qu’ils ont de croire et d’espérer, malgré les difficultés et la grisaille d’aujourd’hui.
Ouidah est, en cela, la nation béninoise en projection et en miniature, une nation que nous rêvons de construire sur les décombres de tous les sectarismes retardataires. Le gâteau culturel de Ouidah est constitué ainsi de tranches sur chacune desquelles chaque peuple, partie à ce bel ensemble, a apposé son paraphe.
Les Fon ont offert le fongbé. Il sert de liant linguistique au peuple arc-en-ciel de Ouidah. Les Houédah sont arrivés avec, en bandoulière, le serpent python, objet d’un véritable culte dans lequel se reconnaît et auquel s’identifie Ouidah.
Les Yoruba ne sont pas en reste. Le Fa ou la géomancie, l’Egoungoun ou la réincarnation de l’âme des disparus, sont autant de parts contributives des arrières petits enfants d’Oduduwa au patrimoine commun de Ouidah. Que dire des Afro-Brésiliens, les Aguda ainsi communément désignés ? Les petits métiers, avec les charpentiers, les cordonniers, les sommeliers, n’ont pas, comme illustrateurs leurs pareils. Il faut ajouter que personne n’oublie à Ouidah le « Bourignan ». Elle suinte la nostalgie des nuits carnavalesques de Rio ou de Bahia. Personne n’oublie non plus les saveurs afro-caribéennes du cucidu ou de la féjuhada.
Tous ces apports pluriels étaient comme autant d’affluents qui ne mêlent leurs eaux que pour grossir un cours d’eau majestueux qui a rendez-vous avec l’océan, la mer de Ouidah. Car, si le Danxomè était le cerveau organisateur placé au cœur d’un système de pouvoir monarchique fort, avec des souverains de la trempe et de la lignée des Ghézo, Glèlè et autres Gbèhanzin, le sang qui irriguait le royaume des Houégbadjavi lui venait, en flots continus, de Ouidah, à la fois port et porte océane, ouvert au négoce et aux relations avec le monde extérieur.
Port de douleur d’où sont partis pour un exil parfois sans retour, des frères, des sœurs, dispersés aux quatre vents de la diaspora de la souffrance. Porte du grand retour pour des retrouvailles heureuses. Tous les bâtisseurs d’un nouvel humanisme ont déjà pris date. Ouidah en sera le cœur vivant.
Jérôme Carlos La chronique du jour du 11 décembre 2008